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observatoire de la guerre en IRAK
observatoire de la guerre en IRAK
1 mai 2010

"De bons petits soldats" de D. Finkel (livre)

Source : http://hebdo.nouvelobs.com/sommaire/les-debats/097986/irak-au-coeur-du-chaos-par-david-finkel.html

Le grand reporter du « Washington Post » et prix Pulitzer a vécu un an avec un bataillon de soldats américains en Irak. Il en publie le récit saisissant. Entretien.

"Au début, ils étaient naïfs et impatients d'aller au combat. Sur la fin, ils avaient compris ce qu'est la guerre"

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Le Nouvel Observateur. - Dans «De bons petits soldats », qui raconte le quotidien des soldats américains en Irak, vous débutez chaque chapitre par un extrait d'un discours de Bush justifiant la guerre. La réalité des soldats avec qui vous avez passé un an sur le terrain paraît en complet décalage avec les déclarations présidentielles.
David Finkel. - Comme dans toutes les guerres, il y a deux conflits dans la guerre d'Irak. Le premier est celui que mènent les hommes politiques et les stratèges à Washington. L'autre, c'est la guerre qui résulte de cette politique et qui est celle des soldats qui se battent sur le terrain. Pendant que j'étais en reportage, c'est la journée du 4 septembre 2007 qui illustre le mieux cette dichotomie. D'un côté, George W Bush commentait l'évolution du conflit en déclarant que les Etats-Unis étaient en train de « botter le cul de l'ennemi». C'était sa manière de répondre et sa vision des choses. Mais pour les militaires avec qui j'étais en reportage, le 4 septembre, c'est le jour où une mine a explosé au passage de leur convoi. Trois soldats sont morts sur le coup. Un quatrième a perdu ses deux jambes. Et un cinquième a perdu ses jambes, son bras droit, la majeure partie de son bras gauche, ses oreilles, son nez, et ses sourcils, a subi trente interventions chirurgicales pour finalement mourir cinq mois après. « Duncan aurait eu 20 ans demain : il aura à jamais 19 ans et il nous manquera toujours », a écrit sa mère à propos de la mort de son fils. C'est sa manière à elle de répondre, et sa vision des choses.

N. O. - Le retrait américain d'Irak est prévu pour 2011. En fonction de votre connaissance du terrain, est-ce que cela vous semble possible et plausible ?
D. Finkel. - Les amis, les militaires et les collègues avec qui j'en parle pensent tous que c'est effectivement possible. Les plus optimistes disent même que c'est probable. Mais d'autres font remarquer quelques vérités désagréables : la guerre n'est pas terminée, la situation politique demeure très instable, et la plupart des 2 millions d'Irakiens en exil ne sont toujours pas rentrés au pays. A l'intérieur, des millions de personnes déplacées ne peuvent pas revenir chez elles. Chaque jour apporte son lot de violences incessantes. Dans de telles circonstances, il serait présomptueux d'annoncer un terme définitif ou même probable des hostilités : 2011 est encore loin.

N. O. - Dans votre livre, on prend conscience des blessures et traumatismes des vétérans de la guerre d'Irak. Les Etats-Unis les accueillent-ils mieux que ceux du Vietnam ?
D. Finkel. - Je répondrai d'abord en termes de soins médicaux. A n'en pas douter, ceux qui rentrent au pays avec des blessures physiques comptent parmi les gens les mieux soignés au monde. Par contre, en matière de traitement des blessures psychologiques, les choses sont moins simples. Certains sont bien suivis, d'autres non. Il y a un certain sentiment de honte associé à la demande d'un traitement psychiatrique. Au sein du bataillon que je décris dans mon livre, un des tout meilleurs soldats de l'unité a été renvoyé au pays pour cause de troubles du comportement post-traumatiques. A l'évidence, il s'agit d'un excellent soldat qui avait atteint son point de rupture au terme de mille jours particulièrement éprouvants en Irak. Et pourtant il est revenu aux Etats-Unis hanté par un sentiment de culpabilité : il ne se sentait pas fier d'être un patriote. Quant à la manière dont le public américain accueille les vétérans, elle est sans commune mesure avec ce qui s'est passé au moment du Vietnam. Ces jours-ci, les critiques et la colère de ceux qui condamnent le conflit visent les dirigeants et non les soldats eux-mêmes. Cela changera peut-être à l'avenir lorsque la guerre cessera d'être un événement lointain et commencera à contaminer le tissu social américain. Mais pour le moment, c'est la guerre qui maltraite les soldats et non l'opinion publique.

N. O. - Vous avez couvert l'Irak, l'Afghanistan, le Kosovo, et vos sujets sur le Yémen vous ont valu le prix Pulitzer. Qu'est-ce qui vous a le plus marqué ?
D. Finkel. - Je pense que ce que j'ai vu en Irak restera à jamais en moi et que cela m'a plus marqué que tout ce que j'avais pu voir jusque-là. Au départ, je ne cherchais pas à écrire sur la guerre proprement dite, mais plutôt à me servir d'elle pour cerner la personnalité des jeunes soldats. Au début, ils étaient naïfs et impatients d'aller au combat. Sur la fin, ils avaient compris ce qu'est la guerre. Tous en ont été transformés, et ils porteront ce conflit en eux jusqu'à la fin de leurs jours.

David Finkel

Grand reporter au «Washington Post», David Finkel a reçu de nombreuses récompenses, dont le prix Pulitzer pour une série sur le Yémen. Il publie chez Robert Laffont « De bons petits soldats », salué aux Etats-Unis.

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