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observatoire de la guerre en IRAK
observatoire de la guerre en IRAK
21 octobre 2007

ORIGINES de l'islamisme violent

Extrait du prochain livre de D. Gorteau, Comprendre la guerre en Irak

Après l’assassinat du fondateur des Frères Musulmans[1] l’islamisme politique égyptien ne disparaît pas, la structure reste sauve et continue son travail de recrutement et d’essaimage malgré la surveillance des autorités, incapables de dissoudre une organisation revendiquant deux millions d’adhérents.

Alors que l’Egypte devient indépendante formellement mais demeure très liée aux intérêts européens, les Frères Musulmans restent une force d’attraction à même de mobiliser des Egyptiens patriotes révoltés par cette situation et la corruption de la cours du roi Farouk.

Prudents et opportunistes les Frères Musulmans ne sont guère décidés à conquérir le pouvoir et préfèrent, comme souvent, développer leurs ramifications dans la société : femmes, étudiants, syndicats, associations plus ou moins sous leur contrôle irriguent la société et les immigrés. Un peu partout dans le monde arabe des militants ou des sympathisants des Frères Musulmans agissent et fondent des partis frères avec des succès variables[2].

Sortis de la guerre de 1948 où ils participent à la lutte anti-sioniste les Frères Musulmans restent généralement non violents et ont plusieurs tendances internes aux prises de positions variées.

Dès le renversement du roi Farouk (1952) par de jeunes officiers les Frères Musulmans soutiennent le nouveau régime jugé plus indépendant de l’Occident. Mais rapidement, le côté modernisateur et pro soviétique de Nasser leur déplait et fâchent plus encore les régimes arabes les plus rétrogrades et pro américains. L’Arabie Saoudite va donc animer la lutte contre les « communistes » du Caire. Dans cet affrontement les Frères Musulmans d’Egypte sont incités à s’opposer au pouvoir de Nasser. Comme fréquemment dans la guerre froide, les mouvements islamo-conservateurs vont mobiliser les foules contre le danger communiste. Dès 1954 le Raïs dissout la confrérie et pousse très loin la répression, il se sent personnellement menacé.

Alors que le président égyptien devient le héros de son peuple et du monde arabe pour ses prises de positions souverainistes et anti-israélienne, les Frères Musulmans traversent une crise interne. Finalement habitués à être malmenés par les autorités leurs dirigeants pensent agir comme à leur habitude : exister et agir derrière des organisations écrans pour renforcer leur influence dans la société sans obligatoirement recourir à des méthodes violentes. Cette prise de pouvoir par la base de la société est facilitée par l’exode rural qui augmente la population des villes de nouveaux habitants pauvres et très réceptifs au conservatisme protecteur de la confrérie.

Certains militants de base, peut-être sous influence saoudienne, ne sont pas décidés à rester une simple société de bienfaisance, ils pensent que seule l’action directe peut aboutir à la création d’un Etat islamique. Cette tendance minoritaire est vite combattue par les dirigeants historiques de la confrérie qui se souviennent comment les actes violents de l’époque de H. al-Banna avaient aboutis à une répression féroce. Les jeunes radicaux se rallient à S. Qutb, un journaliste qui tente une fusion entre wahhabisme et doctrine des Frères. Alliant révolution sociale, recours à la violence et concept du takfir (assassinat des « mauvais musulmans ») cette tendance dite « qutubiste » va vite être en rupture avec la confrérie qui comprend qu’elle a tout à perdre à se lancer dans une lutte à mort avec le pouvoir. En effet, par la suite, quand les islamistes voudront prendre le pouvoir par la force ils échoueront de façon sanglante. Ce sera le cas en Syrie dans les années 1980 et en Algérie dans les années 1990.

Néanmoins les jeunes militants intéressés par les idées de S. Qutb vont petit à petit constituer des cellules clandestines et s’armer en restant dans l’organisation mère puis dans des groupes autonomes.

L’idée de takfir est une nouveauté intellectuelle qui permettra aux islamistes de franchir le pas de la violence politique, voir de la violence aveugle. Or, comme la violence ne suffit pas à prendre le pouvoir, le takfir servira plus tard de transition vers le terrorisme.

Arrêté et pendu en 1966 pour avoir coopéré à une prétendue tentative d’assassinat contre Nasser S. Qutb est à le fondateur théorique de l’islamisme terroriste qui est donc une dérive extrémiste des Frères Musulmans fusionné avec le wahhabisme saoudien. Dérive que condamnera toujours la confrérie.

A la fin des années 1970 l’islamisme se divise.

Une série de petits groupes activistes vont quitter et être condamnés par les Frères plus que jamais méfiants vis-à-vis de la lutte armée.

En Algérie un premier maquis islamiste est liquidé en 1982 et dès l’essor du FIS les Frères Musulmans locaux ne s’associeront ni au FIS ni à ses maquis. Encore aujourd’hui les Frères algériens sont des partenaires dociles du régime militaro-autoritaire.

En Egypte, le successeur de Nasser, A. el-Sadate, est plus tolérant vis-à-vis des Frères Musulmans, il les laisse agir pour contrer dans la société et dans la rue les organisations d’extrême gauche, Sadate rallie en effet le camp des Etats-Unis dans la guerre froide. La même politique est suivie dans de nombreux pays arabes comme le Maroc : instrumentalisation des islamistes à l’intérieur et virage pro américain à l’extérieur. Dans les années 70 ces deux orientations vont de paire.

Mais les groupes « qutubistes » clandestins infiltrent l’armée et assassinent Sadate en 1981. Dès lors, malgré la répression aveugle qui s’en suit, des dizaines de groupes armés islamistes survivent et partent combattre en Afghanistan avec l’argent saoudien et les armes des Etats-Unis. Malgré le caractère incontrôlable de ces groupes armés, le « monde libre » d’alors préfère les laisser faire afin de combattre le marxisme dans le tiers-monde et les Soviétiques en Afghanistan.

Toutes les années 1980 voient se développer une ambiguïté des pays occidentaux vis-à-vis de cette nébuleuse qui accumule savoir-faire militaire en Afghanistan, sympathies populaires dans le monde arabe et argent des monarchies pétrolières du Golfe.

L’Occident en général et les Etats-Unis en particulier négligent le côté anti-occidental de ces groupes pour mieux les utiliser comme supplétifs de l’OTAN contre l’URSS. Alors que S. Hussein combat l’Iran pour le compte des Occidentaux, les islamistes armés font la même chose contre Brejnev.

L’islamisme se divise donc radicalement durant les années 70-80 : les réseaux des Frères Musulmans se structurent en organisations de masse voir en parti politique non violents. Plus ou moins tolérés ou encouragés par les régimes arabes ils encadrent la société et contrent la gauche sur le terrain social. Les groupes plus radicaux, eux, sont en Afghanistan en train de lutter contre l’invasion soviétique. La nébuleuse des Frères Musulmans alimente les groupes violents en militants en manque d’action. Sorti de l’assassinat de Sadate, les Frères Musulmans comme les islamistes armés ont finalement le même ennemi : l’athéisme marxiste à l’intérieur et l’URSS à l’extérieur. Dans ce contexte de guerre froide l’islamisme est un allié de poids des Etats-Unis. L’Arabie Saoudite et le Pakistan servent de relais à l’aide occidentale qui se chiffre en millions de dollars.

Raison de plus pour encourager l’islamisme : contrer la révolution iranienne.

La révolution iranienne est plus chiite qu’islamiste. Elle représente une menace pour l’islam sunnite en général et wahhabite en particulier. Les islamistes du Moyen-Orient sont donc aussi de farouches adversaires des « hérétiques » chiites. Là aussi Washington et les islamistes sunnites ont le même adversaire…

Rappelons qu’Israël tentera la même chose vis-à-vis des Frères Musulmans palestiniens. Pour contrer la puissante OLP les israéliens permettront au Hamas de se constituer le plus légalement du monde en 1987.

C’est la fin du bloc de l’est qui va poser la question de l’islamisme.

Alors que ces groupes radicaux se considèrent comme les vainqueurs de l’empire soviétique, ils reviennent dans leurs pays respectifs et commencent à se retourner contre leurs anciens alliés.

Dans la décennie 1980 le monde arabe ne s’est pas développé, il s’est même appauvri et les villes se sont peuplées de ruraux misérables. La tension sociale est extrême. Le problème palestinien demeure une monumentale injustice.

L’invasion du Koweït par l’Irak en 1990 va mettre en porte-à-faux ces organisations. Certaines vont rester en Afghanistan pour participer à la guerre entre ex résistants aux Soviétiques, d’autres vont soutenir l’Arabie Saoudite qui se juge menacée, mais la base, elle, va plutôt pencher du côté de S. Hussein esquissant un premier rapprochement entre nationalisme arabe et islamisme.

Le FIS en Algérie va finir par soutenir la guerre contre l’Irak en échange de subsides saoudiens, mais la population et les militants vont considérer que les Etats-Unis sont un agresseur à combattre. C’est la conclusion de O. Ben Laden qui après avoir proposé aux Saoudiens l’aide de ses troupes contre l’Irak va militer contre la présence américaine en Arabie.

Petit à petit les islamistes du monde entier vont basculer dans l’opposition aux Etats-Unis qui vont persister dans leur rôle d’allié n°1 d’Israël et de pays agressif et injuste. Tout l’Occident va subir l’opprobre de ses anciens alliés objectifs : en Algérie les groupes armés issus du FIS s’en prennent aux Français et tentent même de porter la guerre dans l’hexagone. En Egypte des groupes armés visent des touristes et en massacrent plus de cinquante en 1997. Si ces groupes armés finissent par être infiltrés puis liquidés par les autorités, des groupes plus petits encore se constituent et se préparent à des actions spectaculaires. O. Ben Laden aidé de militants du monde entier (dont l’égyptien A. Zawahiri) amalgame ces nouveaux militants qui sont les rescapés des maquis du monde arabe. La lutte se réorganise avec de nouveaux modes opératoires : l’attentat suicide fomentés par des inconnus voir des étrangers. Ainsi, des va et viens se multiplient entre le monde arabe et l’Afghanistan qui, avec l’aide des Talibans, sert de base à Ben Laden et ses hommes.

Reste que si les islamistes sont de plus en plus incontrôlables, une partie des stratèges américains recommande la prudence vis-à-vis d’eux. Si l’URSS a sombré au début des années 90, les Etats-Unis ne manquent pas d’adversaires. Contre l’Iran chiite ou contre l’influence de la Russie en Asie centrale, les groupes islamistes (ou « djihadistes » selon leur propre dénomination) peuvent rester utiles. Ainsi les Etats-Unis vont-ils toujours être très tolérants avec les dirigeants algériens du FIS. L’attentat dans les sous-sols du World Trade Center en 1993 ne semble pas changer cette stratégie qui préfère laisser certains groupes combattre les adversaires des Américains. Ainsi en Afghanistan les Américains tentent officiellement de négocier avec les Talibans pour le passage d’un oléoduc et jusqu’en 2001 des contacts demeureront réguliers. Leur négociateur est un ancien résistant anti-soviétique, cadre haut placé dans une société pétrolière, H. Karzaï… Les négociations échouent de justesse.

Il est difficile de savoir jusqu’à quand les services secrets américains ont eu des contacts avec des groupes djihadistes. Jusqu’aux attentats anti-américains de 1998 quand des islamistes font exploser les ambassades américaines en Tanzanie et au Kenya ? Après le 11 septembre 2001 ? Plus tard[3] ?

A la veille du 11 septembre 2001 l’islamisme s’est « spécialisé » :

Les organisations légales et populaires encadrent la population avec des organisations de masse. Les pouvoirs politiques en place tolèrent une minorité d’élus islamistes et leur laisse le champ libre dans la société à condition qu’ils n’aient aucune revendication politique audacieuse.

Les maquis islamistes qui ont éclos dans les années 80-90 en rupture avec la stratégie légaliste des Frères Musulmans ont disparus sauf quelques bandes marginales[4].

Pour poursuivre le combat contre l’Occident et les régimes arabes il reste les groupes djihadistes formés par Ben Laden et se revendiquant de lui. Au mépris de la vie des civils et de leurs propres militants ils visent indistinctement les infrastructures pétrolières (Arabie Saoudite), des lieux touristiques (Egypte) ou encore des soldats occidentaux (Irak, Afghanistan…).

On peut considérer que tous ces groupes poursuivent le même but : purifier le monde arabe de l’occidentalisation et rejeter l’influence internationale des Etats-Unis. Faut-il pour autant amalgamer les Frères Musulmans et les groupes djihadistes ? Certains le font en utilisant un discours digne de la théorie du complot.

La réalité est plus subtile. Comme les groupes d’extrême gauche jadis, la cohérence entre les islamistes n’est qu’apparente. La matrice intellectuelle commune est finalement très limitée.

Sans vraie stratégie mondiale les Frères Musulmans s’adaptent aux pays où ils sont implantés. Récemment ils ont investis les parlements marocains et égyptiens sans contester les bourrages d’urnes des autorités. Une fois élus ils ne font pas vraiment d’opposition, ils participent aux affaires sans faire de bruit comme en Jordanie. Le Parti de la Justice et du Développement (PJD) marocain a même voté la réforme du code de la famille qui modernise la condition juridique de la femme. En Turquie les islamistes modérés au pouvoir veulent s’intégrer à l’Europe et n’ont rien contre l’OTAN ou Israël... Il est avéré que ces partis sont populaires dans les suffrages, mais très élitistes dans leur direction. Comme les monarchistes d’Europe au XIX°s ils se modèrent au fur et à mesure qu’ils participent au pouvoir et à ses prébendes.

Les groupes djihadistes sont en réalité aux antipodes des Frères Musulmans : violents, déterritorialisés, utilisant l’attentat suicide ils rejettent la modernité sans nuance. Mais, sorti d’opérations spectaculaires et donc limitées ils sont impuissants à prendre le pouvoir. Contre la prudence coutumière des Frères Musulmans ils ont tentés de prendre les armes pour prétendument imiter le prophète  mais ont toujours échoués lamentablement.

Si Ben Laden (objectivement malade et traqué) jouit d’une certaine popularité, force est de constater que c’est une réaction de la rue arabe aux crimes israéliens ou américains. Quand ses partisans frappent des civils innocents, la popularité de ces « robins des bois » sanglants s’effondre comme à la suite des attentats de Zarkaoui en Jordanie qui ont visé des mariages en novembre 2005[5].

L’invasion de l’Irak aura donc donné un second souffle à un courant radical qui ne survivrait pas en cas de règlements justes des problèmes du Proche-Orient.

Alors que S. Hussein était un rempart efficace contre l’Iran et le djihadisme, voilà que le chaos consécutif à l’invasion a transformé l’Irak en nids de terroristes wahhabites soutenus par certains chefs saoudiens et tolérés par peur du chiisme…

Même si les Américains réalisent un peu tard leur erreur en proposant des armes à certains Sunnites contre al-Qaïda en Irak leur soutien systématique à Israël et leur obstination à rester aux pieds des puits de pétrole arabes ne peuvent que galvaniser la folie furieuse des milliers de Zarkaoui créés par leur politique. 


[1] Assassiné en 1949 très vraisemblablement par la police alors qu’un Frère Musulman avait tué le chef du gouvernement.

[2] Si le Maghreb reste peu touché par cet essaimage, la Jordanie, la Syrie ou encore l’Irak se montrent réceptives aux « frères »

[3] le journaliste allemand J. Elasser dans son livre « comment le Djihad est arrivé en Europe » avance la thèse de contacts encore réguliers entre services US et groupes djihadistes. Cette tolérance intéressée aurait permis à ces groupes d’agir facilement.

[4] Comme le GSPC en Algérie, seul survivant des maquis issus du FIS (non lié aux Frères Musulmans) et soupçonné d’être manipulé.

[5] Son groupe tentera de se justifier en affirmant avoir visé des diplomates occidentaux.

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