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observatoire de la guerre en IRAK
observatoire de la guerre en IRAK
12 septembre 2007

La torture en Irak (art de N. Klein)

Source : Courrier International / Los Angeles Times ; fiabilité : élevée

Naomi Klein s'exprime dans le Los Angeles Times en 2004 ( http://www.latimes.com/ )

Préparez-vous à recevoir une nouvelle avalanche d’horribles photos de torture. Un juge fédéral a ordonné la semaine dernière au ministère de la Défense de rendre publics des dizaines de clichés et de vidéos supplémentaires décrivant les mauvais traitements infligés aux prisonniers d’Abou Ghraib. Il n’est pas difficile de prévoir les réactions que vont provoquer ces photos : le ministre de la Défense, Donald Rumsfeld, va se déclarer choqué et va nous assurer que des mesures ont déjà été prises pour empêcher ce genre d’agissements de se reproduire. Mais imaginons que les événements suivent un cours différent. Imaginons que Rumsfeld réponde comme le colonel Mathieu dans La Bataille d’Alger, le célèbre film réalisé en 1965 par Gillo Pontecorvo sur la lutte du FLN pour délivrer l’Algérie de la domination coloniale française. Dans l’une des scènes clés du film, Mathieu se retrouve dans une position familière aux hauts responsables du gouvernement Bush : dans une salle remplie de journalistes, il est interrogé sur les tortures commises par les parachutistes français sur des prisonniers algériens.

Le personnage de Mathieu, qui s’inspire du général Jacques Massu, ne nie rien et ne prétend pas que les responsables seront punis. Il renvoie la balle aux journalistes, scandalisés, dont la plupart travaillent pour des journaux qui soutiennent l’Algérie française. La torture, “ce n’est pas le problème, répond-il calmement. Le problème, c’est que le FLN veut nous chasser d’Algérie et nous, nous voulons y rester… C’est à mon tour de vous poser une question. La France doit-elle rester en Algérie ? Si vous répondez encore oui, vous devez accepter toutes les conséquences nécessaires.”

Son argument, aussi pertinent dans l’Irak d’aujourd’hui que dans l’Algérie de 1957, c’est qu’il n’y a pas de moyen sympathique, humanitaire, d’occuper un pays contre la volonté de son peuple. Ceux qui soutiennent ce genre d’occupation n’ont pas le droit de se dire déliés moralement de la brutalité qu’elle exige. Aujourd’hui comme à l’époque, il n’y a que deux façons de gouverner : par le consentement ou par la peur.

La plupart des Irakiens ne soutiennent pas l’occupation militaire sous laquelle ils vivent depuis plus de deux ans. Faute de consentement, le gouvernement américano-irakien actuel repose largement sur la peur et fait appel aux tactiques les plus terrifiantes – disparitions, détentions indéfinies sans accusation, torture. Il y a un an, le président Bush avait promis d’effacer le scandale d’Abou Ghraib en rasant entièrement la prison. Puis on a changé d’avis. Abou Ghraib et deux autres prisons administrées par les Etats-Unis sont en cours d’agrandissement et un nouveau centre de détention de 2 000 places est en construction. La population carcérale a doublé en sept mois et atteint aujourd’hui le chiffre ahurissant de 11 350 personnes.

La torture n’est pas en déclin en Irak – elle est simplement externalisée. Human Rights Watch déclarait en janvier qu’elle était “systématique” dans les prisons et les centres de détention administrés par les Irakiens (et supervisés par les Américains), avec entre autre le recours aux électrochocs. Selon un rapport interne de la 1re division de cavalerie, obtenu par le Washington Post, les policiers et les soldats irakiens utilisent “constamment” les “chocs électriques” pour “obtenir des aveux”.

En Algérie, les Français ne torturaient pas parce qu’ils étaient sadiques mais parce qu’ils menaient une guerre qu’ils ne pouvaient pas gagner. Dans l’Irak de Saddam Hussein, la torture a explosé après le soulèvement chiite de 1991 : plus son pouvoir était faible, plus Saddam Hussein terrorisait son peuple. Les régimes non légitimes, qu’ils soient des dictatures locales ou des occupations étrangères, font appel à la torture précisément parce qu’ils ne sont pas légitimes.

Lorsque la prochaine série de photos d’Abou Ghraib sera publiée, beaucoup d’Américains vont être à juste titre moralement scandalisés. Mais peut-être qu’un responsable courageux aura tiré les enseignements du colonel Mathieu et osera renvoyer la question : les Etats-Unis doivent-ils rester en Irak ? Si votre réponse est oui, vous devez en accepter les conséquences.

lien originel : http://www.courrierinternational.com/article.asp?obj_id=52368

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